Chère Carolyne,
Toutes mes condoléances pour ta petite Roseline.
La perte de mon fils remonte à quelques jours avant celle de ta fille. À peine un mois et demi, et tellement de désespoir, de rage, d’incompréhension, de mal de vivre, de sentiment d’injustice, etc. J’imagine que nous sommes à peu près dans les mêmes eaux l’une que l’autre. Je suis donc en très mauvaise position pour t’apporter quelques mots de réconfort et d’espoir pour l’instant, mais j’espère que d’autres mamanges sauront le faire mieux que moi.
À défaut de pouvoir apporter un peu de chaleur dans ton cœur, j’aimerais seulement te partager un peu de ce que je tente tant bien que mal de faire dans mon quotidien qui me permet non pas d’oublier ou de jouir de nouveau de la vie mais plutôt d’avoir quelques bouffées d’air frais pour traverser chacun des jours sombres qui se lèvent. Ces trucs, je les ai pris de la travailleuse sociale du CLSC qui me suit maintenant. N’hésite pas non plus à faire appel à ton CLSC si jamais tu en sens le besoin, ça l’existe encore pour l’instant.
La première chose que je fais, c’est de me donner le droit. Je crois qu’à nous toutes, mamanges, c’est important qu’on se rappelle chacune qu’on a le droit de vivre pleinement toutes les émotions qui nous immergent. Nous avons le droit d’être triste de ce qui nous est arrivé, le droit d’être en colère contre la vie, le droit d’être en désarroi total, le droit d’être jalouses des autres familles dont leur enfant sont bien en vie, le droit d’être enragées contre celles et ceux qui se plaignent de choses insignifiantes, etc. Nous avons également le droit d’exprimer ces émotions, de pleurer, de crier, de rester des jours à ne rien faire, de penser constamment à notre enfant, de parler de lui ou elle pendant des heures, de sentir la culpabilité que tout le monde voudrait nous empêcher d’avoir, etc. Nous avons également le droit de ne pas y penser, de ne pas vouloir en parler, de chercher à s’occuper l’esprit à autre chose. Je dis tout cela parce qu’après les premières semaines, on devient rapidement inondées de « tu devrais faire ci et penser à ça, c’est mieux pour toi ». Mais notre peine nous est propre, et je vois qu’il est important qu’on s’écoute continuellement là-dedans. Et personnellement, à chaque jour, me donner le droit de sentir ce que je sens, d’exprimer ces sentiments et de d’agir comme j’ai besoin me fait du bien.
La deuxième chose que je fais, c’est de tenter, à chaque jour, de me garder au moins un moment pour vivre ma peine et penser à mon fils, et un autre moment pour faire une activité qui me fait du bien et qui me change les idées. Je peux faire n’importe quoi de mes journées, mais me prendre au moins ces deux moments particuliers à chaque jour. Ça me permet de garder une sorte d’équilibre fragile me faisant regarder autant vers l’avant que vers l’arrière. Ce n’est pas facile à faire en soi, mais de mon côté je sens que c’est ça qui m’empêche de devenir folle.
Pour celles d’entre nous qui avons perdu notre enfant par mort subite du nourrisson ou par constat tardif de mort fœtale in utero, je crois que malgré la diversité de nos histoires nous vivons toutes un peu de la même manière notre sentiment d’impuissance envers les événements : nous sommes arrivées toutes trop tard, notre bébé était déjà parti au moment de s’apercevoir qu’il y avait problème, et nous n’avons jamais pu ni lui dire au revoir ni lui envoyer pour une dernière fois tout l’amour que nous lui portions. C’est tellement difficile à vivre ce sentiment précis d’impuissance. Je pense à mon petit Laurent qui est parti dans l’ombre sans bruit : son cœur a toujours été tout à fait normal, et quelques heures plus tard au moment de la réécoute hop il ne battait plus, comme ça. Le jour de l’accouchement. Ça me fait si mal de n’avoir jamais pu le serrer contre moi une seule fois, ne serait-ce que pour lui dire au revoir (cf témoignage « Ma colombe s’est envolée sans bruit… »). Plusieurs d’entre nous sommes dans cette douleur viscérale, peut-être que toi aussi.
Ma travailleuse sociale m’a proposée de prendre le temps lorsque je le souhaite de me remettre en contact avec mon fils dont je n’accepte toujours pas le départ si précipité. Il s’agit de faire ce qu’on pourrait appeler des séances de méditation : prendre un temps calme pour se recueillir et se donner le droit de ressentir la présence de notre enfant, de s’en imprégner et de s’en immerger (en se rappelant son odeur, son image, sa voix, les sensations de l’avoir collé contre nous ou dans notre ventre etc.). Je le faisais déjà indirectement d’une certaine façon. C’est douloureux, mais en même temps ça me fait du bien de prendre le temps de sentir la présence mon bébé dont je ne m’attendais aucunement au décès.
Je n’ai aucune idée si ces trois choses te parlent d’une certaine façon ou pas du tout. Pour moi ce sont mes bouffées d’air frais qui m’aident à traverser les jours et à m’accrocher à la vie. Je souhaitais donc te les partager au cas où ça pourrait t’inspirer un peu.
Toutes mes condoléances encore une fois, et tendres pensées pour ta belle Roseline.